Les troubles de jouissance dans le cadre du bail d’habitation : Précisions juridiques

les troubles de jouissance en bail d’habitation, causes, preuves et recours possibles pour locataires et bailleurs. Solutions amiables et juridiques

L'obligation de garantie et d’entretien du bailleur

Par application combinée des dispositions de l’article 1719 du Code civil et de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu envers son locataire d’une obligation dite de garantie et d’entretien. Il s’agit d’un panel de devoirs tendant à assurer à son locataire une jouissance paisible du logement donné à bail.

Les troubles de jouissance, bien que non définis précisément par la loi, peuvent être entendus comme toute entrave ou privation ne permettant pas de profiter pleinement du bien loué.

Typologie des troubles de jouissance

Le bailleur doit ainsi veiller à fournir un logement décent au locataire et pourvoir à l’entretien du bien pour ce qui ne relève pas de l’entretien courant qui doit être assuré par le locataire.

Outre cet aspect qui parait être le plus évident et qui relève de son propre fait, le bailleur doit également s’assurer qu’aucun tiers ne vienne perturber la jouissance du locataire.

La typologie est vaste et quasi inépuisable mais au titre des troubles de jouissance les plus fréquents on peut penser à :

  • Apparition de moisissures dans le logement suite à un vice de construction
  • Dysfonctionnement d’équipements tels que le chauffage ou le système électrique
  • Troubles olfactifs ou nuisances sonores causés par exemple par des travaux entrepris par le
    bailleur
  • Présence de parasites et nuisibles (rongeurs, punaises de lit, cafards…)

Il est à noter que les troubles de jouissance peuvent concerner à la fois les parties privatives comme les parties communes.

A titre d’exemple sur ce dernier point, l’impossibilité d’user d’un ascenseur dans un immeuble peut revêtir pour le locataire les caractéristiques d’un trouble de jouissance.

Moins fréquent dans les faits mais tout aussi sanctionnable, le trouble de jouissance émanant du bailleur peut enfin consister en une remise en cause des droits du locataire sur le bien.

Cette situation peut notamment être rencontrée lorsque le bailleur pénètre dans le logement sans autorisation et hors du cas de la visite périodique des lieux prévue dans le bail.

Toute intrusion non souhaitée est à l’évidence constitutive d’un trouble de jouissance analysée par la Cour de cassation comme une atteinte à la vie privée.

Enfin, il convient de préciser que le locataire est également débiteur d’une obligation de jouissance paisible et peut se voir reprocher une jouissance qui ne le serait pas (tapages, nuisances causées par un animal domestique, violences verbales…)

Les moyens de preuve des troubles de jouissance

Les contours des troubles de jouissance établis encore faut-il être en mesure d’en apporter la preuve.

Conformément aux règles de procédure civiles en la matière, la partie qui allègue d’un trouble de jouissance est tenue d’en apporter la preuve.

En fait de trouble de jouissance, il n’existe pas de norme dans le sens où la preuve peut être apportée par tous moyens.

Les différents modes de preuve dépendent nécessairement du type de trouble allégué.

Ainsi en matière de trouble relatif à la structure et aux équipements du logement (infiltrations, moisissures, isolation…), la preuve des désordres peut naturellement être amenée par de simples photographies prises par le locataire ou des attestations de témoin.

Afin d’objectiver de tels éléments, il peut être utile de recourir à un constat dressé par un Commissaire de Justice.

Ce constat possède l’avantage de procurer une date certaine et indiscutable aux constatations et photographies prises par le Commissaire de Justice.

Dans la mesure où ce type de trouble touche à des considérations techniques, il est entendu qu’une preuve comportant une analyse technique peut être un véritable apport.

A ce titre, l’intervention d’un artisan pouvant donner lieu à l’établissement d’une analyse technique et d’un devis de réparation peut être envisagée.

Toujours dans cet esprit, la partie souhaitant établir l’existence du trouble de jouissance peut avoir recours aux services d’un expert amiable.

Le rapport d’expertise amiable, outre les considérations d’ordre technique, permet également d’assurer un caractère contradictoire puisque le sachant convoquera la partie adverse à ses opérations d’expertise.

Lorsque le trouble de jouissance concerne des nuisances sonores, la preuve pourra reposer par exemple sur des dépôts de plainte.

Quel que soit le mode de preuve retenu, il est toujours pertinent de multiplier les sources et de veiller à en retracer la chronologie.

Les moyens d’action face aux troubles de jouissance

Face à une telle situation, que l’on soit bailleur ou locataire, différentes pistes peuvent être envisagées afin de faire cesser le trouble et/ou obtenir une indemnisation du préjudice subi.

Avant toute chose, il est entendu que pour être en mesure de remédier à une situation pouvant être problématique, encore faut-il en être informé.

Bien que cela tombe sous le sens, il n’est pas inutile de préciser que le premier réflexe consiste à informer l’autre partie de l’existence d’un potentiel trouble de jouissance et ce par courrier recommandé avec accusé de réception en précisant les dates et circonstances du trouble.

En effet, ce type de correspondance permettra en cas de procédure ultérieure de dater précisément l’apparition du trouble et de justifier de l’information donnée à la partie adverse.

Il est fortement conseillé à la partie adverse d’apporter une réponse au risque de se voir reprocher une légèreté blâmable.

A ce stade, les parties peuvent convenir d’une résolution amiable du litige et en définir les modalités.

Dans le cas où aucune issue amiable ne peut être trouvée, plusieurs solutions hors cadre procédural peuvent être adoptées.

D’une part, en cas de litige lié à la décence du logement ou aux réparations, la partie la plus diligente peut saisir la Commission départementale de conciliation.

Sur le terrain de la décence du logement, la commission ne peut être saisie qu’après écoulement d’un délai de deux mois.

Il s’agit d’un organisme paritaire composé à égalité de représentants des bailleurs et locataires qui a pour objectif la recherche d’un règlement amiable aux litiges opposants bailleur et locataire.

La commission compétente est celle du département où est situé le logement objet du litige et doit être saisie par courrier recommandé avec accusé de réception accompagné de toutes les pièces justificatives ayant attrait au litige.

La commission convoquera les parties dans un délai minimum de quinze jours avant la réunion.

Au cours de celle-ci, les parties sont entendues et la commission tente d’amener les parties à un accord.

En cas d’accord, un document de conciliation est signé et met fin au litige rendant de ce fait l’action judiciaire impossible.

En l’absence d’accord, un avis est adressé aux parties qui peuvent ensuite saisir la juridiction compétente le cas échéant.

D’autre part et toujours en cas de remise en question du caractère décent du logement, le Maire dispose d’un pouvoir de police pouvant être mobilisé.

Les services d’hygiène et de salubrité peuvent être requis de cette problématique, se transporter sur place pour constatations et adresser une mise en demeure au propriétaire d’effectuer les travaux lui incombant en cas de non-respect du règlement sanitaire départemental.

Faute de réalisation des travaux imposés, le propriétaire bailleur s’expose à la fois à la saisine de la juridiction compétente mais également à une amende de 3 ème classe.

Dernier préalable qui concerne uniquement le cas d’un locataire bénéficiant de l’allocation personnelle au logement.

La décence du logement est une condition de versement de cette allocation.

Le locataire qui soutient avoir pris à bail un logement indécent peut solliciter son examen auprès de la Caisse d’allocations familiales.

Si le diagnostic révèle une indécence, le propriétaire en est informé et disposera d’un délai de 18 mois pour réaliser les travaux de reprise nécessaires.

Dans l’attente de la réalisation de ces travaux, l’allocation sera conservée par la Caisse et restituée uniquement après vérification de l’état du logement.

Si aucune de ces solutions ne peut être envisagées, le recours au Juge des contentieux de la protection est l’ultime issue.

Si le locataire est demandeur à la procédure, il pourra soumettre des demandes de plusieurs ordres : condamnation du propriétaire à la réalisation de travaux ou de mesures tendant à faire cesser le trouble et ce avec ou sans astreinte, réduction ou dispense de paiement du loyer dans l’attente de la réalisation des travaux, dommages et intérêts voire résiliation du bail.


Le bailleur confronté à une jouissance du locataire contrevenant à ses obligations pourra formuler des demandes similaires.

Le Juge s’appuiera nécessairement sur les éléments de preuve qui lui seront soumis par les parties d’où l’intérêt de disposer d’éléments écrits et objectifs pour étayer son argumentation.

Une ultime mise en garde doit être adressée aux locataires qui ne doivent, en aucun cas et quelle que soit la nature du trouble invoqué, cesser de remplir leurs obligations et notamment celle relative au paiement du loyer.

Seul un accord valablement conclu entre les parties ou une décision de justice peut permettre au locataire de s’abstenir partiellement voire totalement du paiement du loyer.