Souvent méconnu parmi les locations immobilières telles que le bail d’habitation et le bail commercial, le bail professionnel possède un statut particulier qui lui est propre. Son régime est principalement issu de la loi du 23 décembre 1986 dite loi Mehaignerie et plus particulièrement de son article 57A ; le fait que cette loi soit d’ordre public implique que les clauses du bail ne peuvent déroger à ses dispositions légales. Décryptage.
Me Pierrick Bournet, avocat et consultant de l’Association des Propriétaires & Copropriétaires
Les dispositions impératives de l’article 57 A
Elles sont en réalité sommaires et leur caractère peu contraignant
- Le texte prévoit que le contrat est établi par écrit
On pourrait dès lors légitimement penser qu’un bail professionnel conclu uniquement oralement n’est pas valable.
En réalité, l’article 57 A ne prévoyant aucune sanction à la méconnaissance du formalisme, le bail verbal demeure possible bien que peu recommandé en raison de l’évidente insécurité juridique qu’il présente.
- Le contrat de bail professionnel doit avoir une durée minimale de six ans
Le texte ne prévoit qu’une durée minimale, une durée supérieure est évidemment envisageable.
Aucune dérogation à cette durée minimale n’est prévue or hypothèse de convention d’occupation précaire répondant à des critères précisément établis.
- Le délai de préavis pour la résiliation du bail à respecter est porté à 6 mois
Un déséquilibre contractuel similaire au régime des baux d’habitation existe sur ce point dans la mesure où le bailleur ne pourra signifier son intention de résilier le bail qu’au terme de ce dernier.
Le locataire pour sa part a la possibilité de quitter les lieux à tout moment sous réserve du respect du préavis précité.
Que le congé émane du bailleur ou du locataire, aucune obligation n’est imposée s’agissant du motif.
L’article 57 A précise le formalisme du congé qui doit être notifié soit par lettre recommandée avec accusé de réception soit par acte de commissaire de Justice.
Ainsi, à la différence du bail commercial, le locataire ne bénéficie d’aucun droit au renouvellement ni indemnité d’éviction en cas de non-renouvellement du bail.
- Reconduction tacite du bail
Dans le cas où le bail arrive à son terme sans qu’aucun congé n’ait été notifié, le bail est reconduit tacitement pour la même durée sans aucune modification du contenu du bail.
La question s’est posée s’agissant de la reconduction tacite d’un bail dont la durée est supérieure à six ans. Avant un arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2004 (n°02-21.072), la reconduction tacite opérait pour la durée contractuellement fixée par le bail y compris lorsqu’elle est supérieure à six ans. Désormais, la reconduction tacite ne produit ses effets que pour la durée légale soit six ans.
L’état des lieux
La loi Pinel du 18 juin 2014 a instauré l’obligation d’établir un état des lieux à l’entrée et à la sortie d’un bail professionnel. Sur le modèle de la pratique des baux d’habitation, dans l’hypothèse où l’état des lieux ne peut être établi amiablement entre les parties, il est établi par commissaire de justice, sur l’initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire (cf. article 57B de la loi du 23 décembre 1986).
Le texte ne prévoit aucune autre disposition impérative et laisse donc place à la volonté contractuelle des parties pour les autres clauses du bail.
Les règles issues du Code civil
Sans être exhaustif, les règles du Code civil trouvent application notamment :
- Sur la question du loyer
Il est librement fixé et renouvelé sans qu’il soit question d’un quelconque plafonnement.
Si le bailleur souhaite appliquer une indexation de loyer, une clause à cet effet doit être expressément prévue dans le bail.
L’indice retenu peut être soit l’ILAT (Indice des loyers des activités tertiaires) ou l’ICC (indice du coût de la construction).
- Sur la question des charges récupérables et de leur répartition entre les parties
Une clause peut prévoir expressément les postes de charges imputés au locataire.
Dans le silence du bail sur ce point, le bailleur ne pourra solliciter de son locataire le paiement du moindre supplément au loyer fixé.
- Sur la répartition des travaux et réparations
Dans le silence du contrat, le locataire doit prendre à sa charge les réparations locatives et de menu entretien telles que définies par l’article 1754 du Code civil (portes, fenêtres et vitrages, plafonds, menuiseries…)
Une clause peut valablement déterminer une répartition différente avec par exemple la charge unique des grosses réparations telles que définies à l’article 606 du Code civil au bailleur.
- Sur le dépôt de garantie
la loi n’impose pas le principe de son versement par le locataire. Le contrat de bail professionnel peut naturellement prévoir le versement par le locataire d’un dépôt de garantie dont le montant est librement fixé.
- Sur la cession et la sous-location
le locataire principal ne peut ni céder, ni sous-louer sauf accord écrit de la part du bailleur.
Pour le reste, le bail professionnel reste soumis aux dispositions du Code civil applicables aux baux de droit commun.
Dans un souci de sécurité juridique et de sérénité dans l’exercice du contrat, il est naturellement conseillé de rédiger un bail le plus complet possible en intégrant les clauses réglant les points essentiels de la location.
Sur le bail mixte
Outre ce statut légal, le bail professionnel peut prendre une autre forme dite mixte lorsque le bail porte sur un local d’habitation dans une partie duquel est exercée une profession de nature non commerciale.
Dans ce cas, l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 trouve application puisqu’il vise expressément les « locations de locaux à usage d'habitation ou à usage mixte professionnel et d'habitation ».
Dès lors, le bail mixte suivra les dispositions d’ordre public du Titre 1 de la loi du 6 juillet 1989 applicables aux baux d’habitation en résidence principale.
Une alternative au statut des baux professionnels
Depuis la loi de mobilisation pour le logement du 4 août 2008, les parties peuvent volontairement se soumettre au statut des baux commerciaux par application des dispositions de l’article L.142-2 7° du Code de commerce.
Cette option laissée aux parties doit être expressément mentionnée dans le bail puisqu’à défaut le régime des baux professionnels s’appliquera.
En cas de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, le locataire pourra alors notamment bénéficier du droit au renouvellement ou à l’indemnité d’éviction.
La souplesse offerte au locataire par le bail professionnel s’agissant de la résiliation sera remplacée par le cadre plus rigide de la faculté de résiliation triennale du bail commercial.
Quant au loyer, il ne pourra plus être fixé et révisé librement.
L’option dont dispose les parties doit donc relever d’un choix murement réfléchi notamment en fonction des caractéristiques de l’activité exercée par le locataire.
Quel est le champ d’application du bail professionnel ?
En résumé, quel type d’activité permet ou ne permet pas de recourir à un bail professionnel ?
Outre l’hypothèse de l’adoption du statut des baux commerciaux, le champ d’application du bail professionnel peut être défini comme le statut applicable par élimination des situations qui en sont exclues.
Le bail professionnel pourrait être défini comme le bail concernant des locaux dans lesquels s’exerce une profession ne relevant pas d’un statut particulier.
Les activités agricoles sont elles aussi exclues du champ du bail professionnel puisqu’elles relèvent du statut du fermage et du métayage du Code rural qui est d’ordre public.
Le statut des baux commerciaux concerne quant à lui des locaux dans lesquels est exploité un fonds de commerce.
Ledit fonds peut appartenir à un commerçant immatriculé au registre des commerces et des sociétés ou à un entrepreneur immatriculé au répertoire des métiers.
Sont donc visées par le statut des baux professionnels les professions non commerciales, non artisanales et donc par élimination celles dite libérales qu’elles soient règlementées ou non : avocats, médecins, notaires, architectes….
Le bail peut être consenti indifféremment à une personne physique ou à une personne morale.
Il n’existe toutefois pas de définition légale des professionnels pouvant prétendre au statut des baux professionnels.
La jurisprudence a néanmoins retenu deux critères permettant l’admission au statut des baux professionnels : l’exercice d’une profession ou d’une fonction par le locataire et le fait qu’il en tire des revenus de façon habituelle.
Des cas de figure plus résiduels ont donné lieu à des interrogations jurisprudentielles :
- Les associations et le bail professionnel : le bénéfice du bail professionnel est reconnu par la jurisprudence aux associations exerçant une activité à titre onéreux. A titre d’exemple, une association dont l’activité habituelle est la « promotion de la réhabilitation d’immeubles en vue d’améliorer les conditions d’habitation » ou encore « la tenue de cours d’art dramatique ainsi que l’organisation et la présentation de spectacle dans les lieux loués » peut bénéficier du statut du bail professionnel. En revanche, une association à vocation uniquement culturelle ne peut bénéficier de ce statut.
- Un établissement public qui exerce une mission de service public ne peut bénéficier du bail professionnel faute de revenus tirés de l’exercice de son activité. En l’espèce, la Cour d’appel de Paris a dénié le bénéfice du bail professionnel à l’Agence Française de la Biomédecine (CA PARIS 6 ème Chambre – Section B – 8 mars 2007 n°06/01984).
- Les professions libérales qui effectuent des actes de commerce ne peuvent bénéficier du statut. Il s’agit notamment des agences immobilières, des opticiens ou des agences d’assurance.
Ce qu’il faut retenir
Ainsi, une fois l’interrogation sur le champ d’application évacuée, le statut des baux professionnels n’impose que peu d’obligation dans son formalisme.
Il offre un cadre souple permettant aux parties d’adapter leur relation contractuelle à leurs besoins et contraintes respectifs.
Cette liberté contractuelle ne doit toutefois pas inviter les parties à faire preuve de laxisme quant à la rédaction du bail qui se doit d’être le plus exhaustif possible ce qui permet en principe une relation sereine entre bailleur et locataire.